TOPO CULTURE / ACCULTURATION

 

Source : D'après le Dictionnaire de Sciences Economiques et sociales, Sous la direction de P. Deubel et M. Montoussé, Bréal, 2002, pp.378-388.

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1)  QU'EST-CE QUE LA CULTURE ?

Il existe de très nombreuses définitions du terme culture. Nous en retiendrons 3 : la culture savante, la culture au sens anthropologique et, enfin, une définition plus spécifiquement sociologique.

1)  La culture savante est l'ensemble des connaissances et des croyances partagées par l'élite des sociétés développées. Cette conception de la culture prend naissance au 18 ème siècle avec la philosophie des Lumières. La culture est alors associée aux progrès de la connaissance, de l'éducation et au raffinement des mœurs . Les personnes « cultivées » sont opposées à celles dont l'esprit n'a pas été mis en valeur et qui sont restées « incultes ».

2)  La culture au sens anthropologique . Dès la fin du 19 ème siècle, l'anthropologie donne une autre définition du terme culture en rupture avec l'ethnocentrisme (tendance à faire de son groupe social la seule référence possible) qui caractérisait la notion de culture « savante ». La définition donnée dès 1871 par l'anthropologue Edward TYLOR fait encore référence. Selon lui, la culture est une « totalité complexe qui comprend les connaissances, les croyances, les arts, les lois, la morale, la coutume, et toute autre capacité ou habitude acquise par l'homme en tant que membre de la société ». Cette définition appelle 3 remarques :

R1  : la culture n'est pas l'apanage (réservée à) d'une élite mais toutes les sociétés , y compris celles qui nous paraissent les moins développées, possèdent leur propre culture .

R2  : la culture a, par définition, une dimension collective. Une culture ne peut donc être individuelle, elle est commune aux membres d'une société. Elle est ce qui caractérise une société et assure la cohésion sociale puisqu'elle permet aux hommes de se comprendre et de vivre ensemble .

R3  : la culture se transmet (cf. socialisation ). Chez l'homme, le biologique s'efface devant le culturel. Certes, nous avons des besoins naturels (manger, dormir…) mais la façon dont nous les satisfaisons dépend de la culture de notre société. Il n'est pas plus naturel de manger avec des baguettes que d'utiliser une cuillère ou une fourchette. L'acquis (goûts, aptitudes et mode de vie transmis à un individu par les différentes instances de socialisation) prend le pas sur l'innée (caractéristiques génétiques héritées ).

3) La culture au sens sociologique est l'ensemble des valeurs et des normes qui orientent les actions des individus . Une valeur est une préférence ou un principe qui oriente l'action des individus . Ces valeurs peuvent avoir une origine religieuse (l'amour du prochain, la compassion…), politique (la liberté, l'égalité…) ou économique (le travail, la richesse…). Elles nous offrent des repères mais ne nous indiquent pas précisément comment agir dans une situation donnée. Les valeurs se concrétisent en normes , une norme étant une règle explicite ou implicite prescrivant une conduite socialement valorisée . Alors que les valeurs restent abstraites , les normes précisent ce que doivent être les comportements des individus. Elles se déclinent sous la forme de règles juridiques , d'une part, et de mœurs , d'autre part, qui, à la différence des règles juridiques, ne sont pas strictement codifiées. Rouler à moins de 50 km/h en ville ou se souhaiter la bonne année sont deux exemples de normes de nature différente. Une règle juridique est un texte de lois. Les mœurs sont des règles découlant de la morale sociale (par exemple, respecter les personnes handicapées). Elles sont donc directement inspirées des valeurs . Certaines normes (ex. : les normes juridiques) s'imposent à l'ensemble de la population alors que d'autres diffèrent selon la position sociale des individus. Dans une famille, par exemple, parents et enfants ne doivent pas respecter exactement les mêmes normes. Celles-ci dépendent donc partiellement du statut , qui est la position occupée par un individu dans un domaine (ex. prof, élève, maire, mère…) et à laquelle sont attachés des droits et des devoirs. Ces droits et devoirs forment les rôles , un rôle social étant un comportement attendu d'un individu en raison de son statut social . Hommes et femmes, parents et enfants, enseignants et élèves… doivent donc respecter des normes qui leurs sont spécifiques. Valeurs et normes forment un système cohérent qui encadre l'action des individus.

 

2)  LES SOUS-CULTURES

Les sociétés modernes ne présentent pas l'homogénéité des sociétés traditionnelles, ne serait-ce qu'en raison d'une forte division du travail et de l'individualisation forte qui y est associée. Par ailleurs, des groupes sociaux différents et des cultures différentes coexistent à l'intérieur de ces sociétés . Une sous-culture est la culture d'un groupe social appartenant à une société . Il existe des sous-cultures de classes (bourgeoise, ouvrière…) mais également des sous-cultures immigrées (Italiens installés aux Etats-Unis…) ou régionales (Corses, Basques, Bretons… en France). Chacune des ces sous-cultures se différencie de la culture globale par des normes et des valeurs spécifiques qui s'ajoutent aux normes et valeurs communes et par une interprétation différente des valeurs secondaires . Dans les années 1960-1970, alors que le mouvement hippie semblait proposer une alternative à la culture globale, on a parfois utilisé le concept de contre-culture pour désigner une culture en opposition avec la culture considérée comme légitime dans une société. Les contre-cultures ne sont que des sous-cultures particulières, en opposition/conflit avec la culture dominante.

 

3)  LES RELATIONS INTERCULTURELLES

A l'intérieur d'un même pays, toutes ces sous-cultures se frottent les unes les autres. L'école est souvent le lieu où les enfants des classes populaires sont mis en présence de la culture « savante ». En France, l'école de la IIIème République a eu pour mission d'imposer une culture nationale à des enfants dont les origines étaient très diverses. Enfants d'ouvriers et enfants de Bretons ont ainsi été obligés de se couler (du moins en apparence) dans la culture unique pour réussir à l'école. Cela a contribué à la diffusion d'une identité nationale et à la régression des identités spécifiques. Les sociologues ont d'abord étudié les relations entre la population déjà installée dans un pays et les immigrés. De leur coté, les ethnologues se sont intéressés aux échanges culturels dans les actuels pays en développement. On qualifie généralement d'ethnie une population ayant en commun une langue et une culture sans, pour autant, s'être constituée en communauté politique. A partir du 16 ème siècle, l'évangélisation et la colonisation ont, souvent brutalement, mis en présence populations africaines et européennes. Le commerce des esclaves en direction des Amériques a mis en contact Indiens, Africains et colonisateurs européens. Depuis la décolonisation, la télévision , les activités économiques , les migrations internes aux pays du sud et le tourisme sont devenues les principales occasions d'échange entre populations différentes. Tous ces contacts, volontaires ou forcés, pacifiques ou violents , se traduisent par des modifications des cultures en présence.

On appelle acculturation l'ensemble des phénomènes qui résultent d'un contact continu et direct entre des groupes d'individus de cultures différentes et qui entraînent des changements dans les modèles culturels initiaux de l'un ou des deux groupes . Les conséquences de l'acculturation dépendent de la nature des relations entre les populations (guerre, tourisme, immigration…), de la taille respective des groupes et des caractéristiques des cultures (leur niveau de complexité et de légitimité). Selon les circonstances, cette mise en contact des populations peut déboucher sur 4 phénomènes :

1)  L'assimilation , à savoir l'intégration par un individu ou par un groupe de la totalité de la culture dominante. Cela suppose une déculturation , qui se traduit par la perte , pour un individu ou un groupe, de sa propre culture . La France, qui est, depuis le milieu du 19 ème siècle, un pays d'immigration exige l'assimilation des immigrés. Celles-ci n'est jamais immédiate mais l'on s'aperçoit qu'en l'espace de trois générations les populations étrangères arrivées sur le territoire se sont toutes fondues dans la population française.

2)  L'ethnocide est une destruction systématique du mode de vie et de pensée d'une population. La déculturation, ici, serait consciente et organisée de façon rigoureuse. Le terme a été utilisé pour désigner le sort réservé à certaines tribus amazoniennes (l'exploitation de la forêt pour ses bois précieux, l'agriculture extensive et l'exploitation minière ont conduit à la déforestation qui est à l'origine de cet ethnocide).

3)  La contre-acculturation est le rejet d'une culture dominante au nom d'une culture perçue et présentée comme étant d'origine . L'affichage ostentatoire de signes religieux chez une minorité d'enfants d'immigrés d'Afrique du Nord en France est un bon exemple de contre-acculturation (cf. retournement du stigmate).

4)  Le syncrétisme est une combinaison relativement cohérente des différents traits culturels en présence. Il y a alors transformation de la culture d'origine. Le phénomène est fréquent, y compris dans des pays réputés pour leurs traditions. Ainsi, alors que la grande majorité des japonais est bouddhiste ou shintoïste, un rite occidentale succède à une cérémonie traditionnelle au cours d'un mariage japonais sur cinq. Cela traduit à la fois le respect de la tradition et des parents, et l'aspiration à plus d'individualisme de la part des jeunes. Ce syncrétisme s'explique par la mise en œuvre de 3 processus :

-  il y a d'abord un processus de sélection culturelle , qui est un processus permettant l'adoption d'une partie des traits culturels de l'autre culture et le maintien de certaines caractéristiques de la culture d'origine. Le noyau dur de la culture du groupe receveur (par exemple, les valeurs et normes relatives aux relations entre les hommes et les femmes) est difficilement abandonné alors que les traits culturels associés à des activités technologiques sont plus facilement assimilés.

-  Il y a, ensuite, un processus de réinterprétation culturelle , qui est un processus consistant à accorder une nouvelle signification aux traits culturels empruntés. Un exemple classique nous est donné par les esclaves noirs au Brésil, qui étaient christianisés dès leur arrivée sur le territoire, mais qui voyaient en Jésus le représentation d'Oxala , le dieu de la création, et en saint Sébastien percé de flèches l'image d'Omulu , le dieu de la variole.

-  Dans certains cas, l'acculturation est à l'origine d'un processus de restructuration culturelle , qui est un processus se traduisant par une modification en profondeur de la culture d'origine. Ainsi l'adoption d'une technique agricole imposant la sédentarisation d'une population jusque-là nomade se traduit toujours par une transformation radicale de sa culture.

 

4)  LA CULTURE : UNE CONSTRUCTION COLLECTIVE

Une analyse fine montre que toute culture se modifie au contact d'autres. Même lorsque les relations sont asymétriques , la culture dominante s'approprie des éléments secondaires de la culture dominée, ainsi que l'a montré l'anthropologue Roger BASTIDE . La double acculturation est la modification mutuelle , bien qu'inégale , des cultures en présence, la culture dominée subissant des transformations importantes tandis que la culture dominante s'approprie une petite partie des traits culturels de la culture dominée. Ce concept de double-acculturation débouche sur une nouvelle conception de la culture, plus dynamique . Toute culture se transforme au contact des autres, il n'existe pas de culture « pure » qui se transmettrait de façon immuable d'une génération à l'autre (cf. changement social). La culture est donc une construction collective qui résulte des relations interculturelles permanentes.

 

5)  LES HIERARCHIES CULTURELLES

La coexistence de cultures différentes à l'intérieur d'une même nation pose le problème des hiérarchies culturelles. Sur la base d'une analyse de la société en termes de classes sociales , on peut opposer la culture dominante à la culture dominée. La culture dominante est la culture de la classe dominante. Elle véhicule une conception des relations sociales qui est favorable à cette classe. Dans la mesure où elle est considérée comme étant supérieure aux autres sous-cultures par l'essentiel de la population (conséquence de la violence symbolique exercée par la culture/classe dominante), la culture dominante légitime les pratiques de la classe dominante (jouer au golf, aller à l'opéra, boire des vins fins versus jouer à la pétanque, aller au concert de rock, boire de la bière). A l'opposé, une culture dominée est la culture d'une classe qui accepte le modèle culturel de la classe dominante et qui reconnaît (plus ou moins consciemment) donc son infériorité sociale. Parmi les sociologues contemporains, Pierre BOURDIEU est un de ceux qui font une analyse en termes de domination . Selon lui, chaque classe sociale est caractérisée par un style de vie qui lui est propre. Bourdieu oppose ainsi la classe dominante aux classes populaires. A l'intérieur de chacune de ces classes, il distingue des sous-groupes dotés d'un habitus spécifique : artistes, enseignants, professions libérales… La culture de la classe dominante est selon Bourdieu une culture légitime car considérée comme la référence ultime par les membres de la société, y compris par ceux qui en sont éloignés. Elle passe pour être supérieure aux autres sous-cultures et confère aux individus qui l'incarnent un prestige social qui justifie leurs avantages économiques (ex. prestige accordé au travail intellectuel / travail manuel).

 

Source : D'après le Dictionnaire de Sciences Economiques et sociales, Sous la direction de P. Deubel et M. Montoussé, Bréal, 2002, pp.378-388.

 

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marjorie.galy@wanadoo.fr