TM1 : Dossier Les limites du PIB

1ES3, septembre 2004, Lycée Kléber, Strasbourg.

A RENDRE LE JEUDI 7 OCTOBRE

 

Conseils : ce travail INDIVIDUEL, lourd et fastidieux, nécessite du temps, des échanges et discussions entre vous, des recherches sur Internet au CDI, une application des quelques méthodes déjà vues cette année (bien exploiter un document, calculs élémentaires). C'est pourquoi il vous est donné à la maison et avec un long délai de préparation… donc ne vous y prenez pas au dernier moment ! C'est aussi une occasion pour vous d'apprendre à planifier votre travail.

 

 

Document 1 : Les pirouettes de l'économie

Je produis, le PIB augmente ; tu produis, le PIB augmente aussi ; il détruit, le PIB augmente ; elle répare, le PIB augmente encore ; nous polluons, le PIB augmente ; vous dépolluez, le PIB augmente ; ils et elles (les économistes) calculent de combien le PIB augmente, le PIB augmente toujours. N'est-ce pas formidable l'économie ? Il y a toujours que des plus, jamais de moins. C'est bizarre et pourtant c'est logique. Le capital n'a qu'une raison d'être : croître et s'accumuler. Toute activité qui peut contribuer à l'accumulation a donc vocation à être investie par le capital : du plus matériel au plus immatériel, de l'objet au symbole,, de l'alimentaire au culturel, du plus intime au collectif, du jouet à la santé, de l'éducation à la procréation, de l'eau à l'air, tout devient marchandise si le profit est au rendez-vous. Au besoin, on détruit pour avoir à reproduire, on pollue pour pouvoir dépolluer.

Source : J.-M. Harribey, « La démence sénile du capital », Bordeaux, Editions du passant, 2002.

 

Document 2 : Abus d'interprétation

Ceux qui se risquent encore à utiliser le PIB par tête comme indicateur de bien être posent implicitement des hypothèses en chaîne dont la pertinence est pour le moins contestable :

Source : I. Cassiers, « Reflets et perspectives de la vie économique », décembre 1995, in Cahiers Français n°286, La documentation française.

 

Document 3 :

 

Document 4 : Le PIB non marchand

Additionner des valeurs ajoutées n'est pas une opération aussi simple qu'elle en a l'air. Car le calcul d'une valeur ajoutée suppose que l'on connaisse le chiffres d'affaires, inexistant pour toute une série d'activités qui, pourtant, font appel à du travail rémunéré. Ainsi la défense nationale, l'enseignement public ou l'entretien du réseau routier. La plupart des services publics ne font effectivement pas l'objet d'une vente. On pourrait certes imaginer qu'il n'en soit pas ainsi : après tout, aux Etats-Unis, l'enseignement supérieur se paie ; tout comme en France l'enseignement privé. En revanche, la défense nationale se prêterait moins bien à une modification de ce type : on voit mal un système de milice privées se charger de la défense du territoire. Et si l'agent de circulation ne laissait le passage du carrefour qu'à ceux qui acquittent un péage, il y a fort à parier que ce serait une pagaille indescriptible. Il existe ainsi toute une gamme de services qu'il n'est pas souhaitable ou pas possible de vendre. Ces services, pourtant, coûtent quelque chose que la collectivité finance, par ses impôts ou ses cotisations. Quelle est alors leur valeur ? La solution qui est retenue pour ces produits non marchands est d'en calculer la valeur en fonction de leur coût de production, lequel est principalement constitué de salaires versés au personnel qui est chargé de les produire. Ainsi l'ensemble du produit intérieur brut est-il formé de deux éléments : d'une part, tout ce qui fait l'objet d'une vente et dont on mesure l'apport productif par la valeur ajoutée ; d'autre part, les services non vendus (ou produits non marchands) dont on mesure l'apport productif par les rémunérations versées au personnel.

Source : Denis Clerc, déchiffrer l'économie, Syros, 1999, p. 27-29.

 

Document 5 : Des activités mal décrites

Quels que soient les efforts réalisés par les comptables nationaux, il est illusoire de croire que l'on peut appréhender l'intégralité des activités économiques d'une nation. Malgré des améliorations certaines, des ombres subsistent.

1.Dans la description des activités non marchandes  : la production domestique non rémunérée (ménage, bricolage, …) est ignorée. Les rares évaluations qui ont été faites donnent des chiffres représentant un manque à gagner oscillant entre 35 à 60% du PIB pour la France. La description de l'utilisation de la production non marchande des APU reste insuffisante. Un progrès notable a été fait avec l'imputation à la consommation effective des ménages de la production des services collectifs individualisables. Pour le reste, ils sont toujours consommés par convention par ces mêmes APU.

2. Dans la description des activités marchandes : l'économie souterraine qui recouvre des activités légale non déclarées par un individu ou par une entreprise (fraude fiscale, absence de facturation…) et des activités illégales (trafics de drogue, prostitution…) reste par nature difficile à évaluer. Des méthodes d'estimation plus ou moins sommaires permettent toutefois de les intégrer dans le calcul du PIB. Les investissements immatériels restent mal décrits. Seuls les investissements en logiciels sont inclus dans la FBCF. En revanche, les investissements humains, commerciaux et en recherche-développement, dont on sait qu'ils ont pris une importance cruciale, sont ignorés en tant que tels.

Source : Manuel de SES, Première, Hachette, 2001, page 37.

 

Document 6 : L'économie souterraine n'est qu'un élément de l'économie informelle

Activité économique totale

Economie formelle (=PIB officiel)

Economie informelle

Secteur non marchand

Secteur marchand

Secteur non marchand

Secteur non marchand public et privé

Biens et services marchands d'après les statistiques

Economie souterraine :

  • travail « au noir » occasionnel
  • travail « au noir » continu
  • déclaration partielle de la production

Economie criminelle

Travail domestique

Volontariat

Source : Manuel de SES Hachette, première, 2001, page 36.

 

Document 7 : Estimation haute et basse de la taille de l'économie souterraine

En % du PIB pour chaque pays de l'union européenne

  • Grèce
  • Italie
  • Espagne
  • Belgique
  • Pays-bas
  • Allemagne
  • France
  • Royaume-Uni
  • Irlande
  • Autriche
  • Suède
  • Danemark
  • Finlande
  • Moyenne
  • 29-35
  • 20-26
  • 10-23
  • 12-21
  • 5-14
  • 4-14
  • 4-14
  • 7-13
  • 5-10
  • 4-7
  • 4-7
  • 3-7
  • 2-4
  • 7-16

Source : Commission européenne, communication sur le travail non déclaré, 1998.

 

Document 8 : Un indicateur pour que la prospérité ne se réduise pas au PIB

in Le Monde du 03/02/04.

Selon deux chercheurs belges, la croissance ne garantit pas le progrès social

En Belgique, la croissance ne fait plus le bonheur. C'est en tout cas la conviction de deux chercheurs de l'Institut pour un développement durable (IDD). Paul-Marie Boulanger, sociologue et président de l'IDD, et Philippe Defeyt, économiste, chargé de recherches à l'Institut, viennent de mettre au point un nouvel indicateur dit d'insécurité sociale. "Il s'agissait de remettre sur le devant de la scène les indicateurs sociaux et de proposer au débat public un nouvel instrument qui permettrait notamment de mettre fin au règne quasi sans partage des indicateurs financiers", explique Philippe Defeyt.

[…]

Construit pour la période 1990-2002, l'indicateur d'insécurité sociale belge est composé de quatre variables représentatives, selon ses inventeurs, des problématiques socio-économiques des dernières années. "Nous avons retenu la situation difficile sur le marché du travail, les inégalités de revenus, le poids de l'endettement et les difficultés rencontrées en matière de consommations essentielles individuelles et collectives comme les dépenses de santé à charge des ménages ou encore le prix de l'eau ou de l'énergie", commente Philippe Defeyt.

Chacune de ces variables est composée de données "objectivables". Un exemple : pour le marché du travail, l'IDD a tenu compte du nombre de chômeurs, de la proportion de jeunes ou de salariés âgés sans emploi, des temps partiels, des personnes en emploi temporaire ou encore attachés à une société d'intérim.

A l'issue de la synthèse de toutes ces données, les deux chercheurs arrivent à un constat sombre : la montée de l'insécurité sociale suit en parallèle l'évolution du produit intérieur brut (PIB). Un résultat qui fait dire aux chercheurs que, depuis dix ans, la croissance économique n'est plus une condition suffisante pour garantir le progrès social. […]

DES TENTATIVES ÉPARSES

Depuis dix ans, les indicateurs basées sur des données sociales tentent de percer la sphère économique. En 1990, les Nations unies créent, sous l'impulsion notamment du futur Prix Nobel d'économie indien Amartya Sen, l'indice de développement humain (IDH). Cet indice mêle espérance de vie, taux d'alphabétisation et produit intérieur brut (PIB) par habitant. L'ONU a ensuite récidivé, en 1999, avec l'indicateur de pauvreté humaine (IPH). Depuis, chaque année, le rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et ses indices jouent un rôle pour relativiser les indicateurs monétaires diffusés par les autres institutions internationales.

Au niveau des Etats, le débat est de plus en plus intense autour des moyens alternatifs d'appréhender les richesses et le bien-être. On peut ainsi citer les travaux de Marc Miringoff de l'Institute for Innovation in Social Policy de l'université de Fordham, aux Etats-Unis, qui a conçu l'indice de santé sociale (ISS). Au Canada, des travaux du même ordre ont vu aussi le jour. En France, le Réseau d'alerte sur les inégalités (RAI), qui regroupe des associations militantes, des organisations syndicales et des chercheurs, s'est lancé en 2002 dans la confection d'un "baromètre des inégalités et de la pauvreté", le BIP 40.

Catherine Rollot

 

Document 9 : A quoi sert la croissance, si elle ne rend pas plus heureux ?

De Richard Tomkins, journaliste économique, Financial Times, Londres.

Depuis que le monde est monde, l'espèce humaine a dû lutter pour sa survie. Le besoin est la condition normale de l'être humain, et chercher à le satisfaire, l'un de ses instincts les plus profondément enracinés. Mais, aujourd'hui, quelque chose d'extraordinaire est en train de se produire dans le monde développé. Pour la première fois dans l'Histoire, les sociétés sont confrontées à des problèmes non plus de pénurie, mais de surabondance.

Nous vivons dans une économie d'excédents où presque tous les secteurs d'activité, anciens et nouveaux, souffrent de surcapacité. Il y a tant de voitures en circulation qu'il n'y a presque plus d'espace pour les conduire. Nous avons tant à manger que nous connaissons une épidémie d'obésité. Il y a tant de choses à acheter, à voir et à faire que nous ne trouvons pas le temps d'en profiter. Trop de tout ? Voilà une utopie que nos ancêtres recherchaient en permanence, sans grand espoir d'y parvenir. Alors pourquoi ne sommes-nous pas un peu plus reconnaissants et nettement plus heureux ?

L'économiste britannique John Maynard Keynes avait anticipé, dès 1930, la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Dans un essai intitulé Perspectives économiques pour nos petits-enfants [in Essais sur la monnaie et l'économie, Payot, 1971], il observait que le niveau de vie moyen des individus était resté pratiquement inchangé pendant la plus grande partie de l'Histoire. Bien entendu, il y avait eu des hauts et des bas, mais pas d'amélioration progressive. La révolution industrielle changea tout : malgré une forte croissance démographique, le niveau de vie moyen avait été multiplié par quatre aux Etats-Unis et en Europe depuis le début du XVIIIe siècle, et Keynes prévoyait qu'il croîtrait encore de l'ordre de quatre à huit fois dans les cent années à venir. On pouvait donc imaginer que l'éternel problème de l'humanité, la lutte pour la survie, serait résolu dans un avenir prévisible. Désormais, disait Keynes, "le problème véritable et permanent de l'homme sera de savoir comment employer la liberté arrachée aux contraintes économiques" pour vivre "de manière sage, agréable et bonne". Le temps a donné raison à Keynes sur les deux points, les prévisions économiques et leurs implications. La production par habitant a augmenté au moins aussi vite qu'il l'avait prédit, et notre transition vers une société de la surabondance, et non plus du besoin, est au moins aussi problématique qu'il le craignait. Si le récent boom économique a considérablement accru le niveau global de prospérité, il ne s'est pas accompagné d'un sentiment accru de bien-être. De fait, les "enquêtes sur le bonheur" menées aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Europe continentale montrent que le niveau de bonheur est resté au mieux stationnaire et qu'il a parfois décliné au cours des trente dernières années.

Cela tient sans doute au fait que les fruits de cette prospérité accrue ont été inégalement répartis. Même dans les riches pays occidentaux, un grand nombre de personnes vivent encore dans la pauvreté et beaucoup d'autres ont du mal à joindre les deux bouts. Mais ce sentiment de mal-être de la société peut également s'expliquer par la "pyramide des besoins", élaborée en 1943 par le psychologue béhavioriste Abraham Maslow. A la base de sa pyramide se trouve tout ce qui est essentiel à la vie, comme la nourriture, l'eau et le confort matériel. L'étage au-dessus représente le besoin de sécurité et de protection. Viennent ensuite le besoin d'amour et d'appartenance - et notamment le besoin de se sentir accepté par la famille, la collectivité et les collègues de travail -, puis le besoin d'estime de soi et des autres, et le besoin de reconnaissance.

Enfin, au sommet de la pyramide, on trouve ce que Maslow appelait l'accomplissement personnel, c'est-à-dire le bonheur que procure à l'être humain le fait d'avoir réalisé son potentiel. A ce stade, l'individu cherche, par exemple, à développer ses connaissances ou à accumuler les expériences esthétiques pour son propre plaisir, et peut aider les autres à s'épanouir.

Maslow affirmait que le besoin d'accomplissement personnel est la motivation la plus élevée de l'être humain, mais qu'il fallait avoir satisfait le niveau de besoin inférieur avant de pouvoir passer au suivant. L'argent est bien entendu très important pour remplir les conditions préalables au bonheur. Sans argent, l'individu ne peut pas satisfaire ses besoins élémentaires et a peu de chances de dépasser le premier niveau de la pyramide. Le problème, c'est que les hommes, ayant passé presque toute leur histoire à lutter pour la survie, en sont venus à croire que la clé d'un bonheur accru réside dans une prospérité accrue, même lorsque les besoins élémentaires ont été satisfaits, alors que la pyramide de Maslow laisse entendre tout autre chose.

Il est intéressant de constater que les enquêtes sur le bonheur confirment la proposition de Maslow. Elles montrent en effet que les personnes ayant de très faibles revenus deviennent nettement plus heureuses lorsque leurs revenus s'accroissent, mais qu'au-delà d'un niveau de revenus relativement modeste (à partir de 10 000 dollars par an) les accroissements supplémentaires n'apportent que très peu de bonheur supplémentaire.

Ce qui est valable pour les individus l'est aussi pour les nations. Certes, les habitants des pays riches déclarent des niveaux de bonheur plus élevés que ceux des pays pauvres. Mais, lorsqu'un pays atteint un certain niveau de développement économique - grosso modo, celui de la Grande-Bretagne des années 50 -, l'accroissement de la richesse nationale a un impact quasi nul et peut induire une diminution du bonheur.

Quelles en sont les implications ? Que l'argent ne fasse pas le bonheur des individus, cela tout le monde le sait depuis longtemps. Mais savoir qu'au-delà d'un certain point la richesse ne fait pas non plus le bonheur des sociétés est une tout autre chose. Depuis un demi-siècle au moins, les Etats ont utilisé le produit intérieur brut (PIB) - ou son proche parent, le produit national brut (PNB) - comme indicateur de bien-être. Mais, s'il n'y a plus de corrélation entre le PIB et le bonheur, cela remet en cause l'un des objectifs clés des politiques publiques, qui est de maintenir le PIB sur une trajectoire ascendante. Le problème de l'utilisation du PIB comme indicateur du bien-être, c'est qu'il ne mesure que des éléments auxquels on peut donner une valeur monétaire. En conséquence, il ne rend pas compte des choses qui prennent de l'importance pour les gens une fois que leurs besoins élémentaires ont été satisfaits. Ainsi, le temps est devenu si précieux pour beaucoup d'entre nous qu'on le surnomme "la nouvelle monnaie", et pourtant le PIB ne le prend pas en considération. Pis encore, le PIB compte souvent comme des gains des choses qui rendent en fait les gens plus malheureux. Prenons le deuxième niveau de la pyramide de Maslow, qui représente le besoin de sécurité.

Lorsque la criminalité augmente, l'accroissement des dépenses en systèmes de surveillance, alarmes antivol, armes à feu et bombes antiagression contribue à la croissance du PIB. Mais les gens sont moins heureux parce qu'ils se sentent moins en sécurité. L'augmentation du taux de divorce fait aussi progresser le PIB parce qu'elle se traduit par des dépenses accrues en frais d'avocat, en aide psychologique, en logement. Pourtant, cela va à l'encontre de la satisfaction du besoin d'amour et d'appartenance. De même, le nombre croissant de dépressions, une maladie qui fait des ravages dans les sociétés occidentales, vient grossir le PIB en raison des sommes considérables dépensées en antidépresseurs et en psychothérapie. Or cela nuit énormément à l'estime de soi.

Comme Keynes, nous pouvons faire des extrapolations à partir de la croissance du PIB et voir où nous en serons dans cent ans. Grâce aux miracles de la croissance composée, un accroissement annuel de 2 % nous rendrait sept fois plus riches d'ici à 2103, et pas moins de dix-neuf fois plus riches si cet accroissement était de 3 %. Que ferions-nous de notre immense richesse ? Aurions-nous dix-neuf fois plus de voitures, dix-neuf fois plus de maisons et chacun sa flotte d'avions et de yachts ? Et où mettrions-nous tout cela ? Aurions-nous dix-neuf fois plus de vacances ?

Comment trouverions-nous le temps de les prendre et où dénicherions-nous un coin qui ne soit pas envahi par d'autres vacanciers ? Et, plus important encore, serions-nous plus heureux ? Etre exposés à dix-neuf fois plus de publicité et acheter dix-neuf fois plus de biens de consommation nous aiderait-il à atteindre les niveaux supérieurs de la pyramide de Maslow ou bien serions-nous simplement dix-neuf fois plus à court de temps, dix-neuf fois plus déprimés, dix-neuf fois plus divorcés et dix-neuf fois plus malheureux ?

Plutôt que d'attendre d'en arriver là, on peut imaginer de redéfinir le progrès en cessant de faire du PIB un synonyme de bien-être et en se donnant pour objectif d'accroître le bonheur, et pas seulement la richesse. Aussi farfelue que l'idée puisse paraître, plusieurs tentatives ont déjà été faites pour concevoir d'autres mesures du progrès humain. En général, elles prennent le PIB comme valeur de base et le corrigent en tenant compte du coût théorique des "éléments regrettables" qui nuisent à notre bien-être. L'une de ces mesures est l'indicateur de bien-être économique durable, élaboré en 1989 par un ancien économiste de la Banque mondiale, Herman Daly, et par le théologien John Cobb. Cet indicateur prend comme point de départ les dépenses de consommation des ménages, auquel on ajoute la valeur du travail domestique non rétribué. De nombreux éléments considérés comme positifs dans le PIB, tels que le coût de la criminalité, des accidents et de la pollution, sont ensuite retranchés. Un certain montant est également déduit pour la répartition inégale des revenus, qui peut provoquer plus de jalousie et de frustration chez ceux qui se trouvent en bas de l'échelle que de bonheur chez les quelques personnes qui gravitent en haut. En outre, un coût théorique - considérable - est imputé à la dégradation de l'environnement et à l'épuisement des ressources naturelles. La fondation américaine Redefining Progress a élaboré un indice similaire, baptisé "indicateur de progrès véritable" (IPV). On ajoute ici la valeur du travail bénévole et on soustrait un chiffre représentant la perte de temps libre supportée par ceux qui travaillent trop.

Ces deux indicateurs ont été calculés sur des périodes passées, et tous deux donnent des résultats plus proches de ceux des enquêtes sur le bonheur que le PIB. Aux Etats-Unis, l'indicateur de progrès véritable augmente parallèlement au PIB du début des années 50 à l'année 1970 environ, date à partir de laquelle sa trajectoire se sépare de celle du PIB pour amorcer une descente. C'est précisément le moment où les Américains ont commencé à être moins heureux. Au Royaume-Uni, on assiste à un phénomène similaire avec l'indicateur de bien-être économique durable. Ces indices sont évidemment imparfaits. Ils cherchent à attribuer une valeur monétaire à des éléments qui ne peuvent pas être évalués avec précision. De plus, lorsqu'on commence à faire la liste des choses qui rendent les gens heureux ou malheureux, il est difficile de savoir où s'arrêter. Pour leurs partisans, ils représentent malgré tout un meilleur instrument de mesure du progrès que le PIB et fournissent au moins une base utile pour discuter de ce que devrait être cet indice de substitution.

Si elle était mise en place, une nouvelle mesure du progrès bouleverserait l'ordre des priorités de l'action publique. Par exemple, la course à la productivité pourrait perdre de l'importance au profit d'une réduction obligatoire du temps de travail permettant aux gens de consacrer plus de temps à leur famille et à la collectivité. On pourrait entreprendre de réduire les inégalités en exigeant des entreprises et des plus fortunés un effort de solidarité accru. De même, une forte hausse des taxes sur l'utilisation des ressources non renouvelables pourrait contribuer au financement de solutions à la dégradation de l'environnement et des structures sociales.

On trouvera plus de partisans de ces solutions au centre gauche, chez les tenants de la transformation sociale, que parmi les défenseurs du capitalisme libéral. Mais, comme l'avait prédit Keynes, les riches pays occidentaux sont arrivés à un tournant : nous entrons dans une ère postmatérialiste, dans laquelle le bonheur devient une priorité politique et culturelle. La psychologie hédoniste, ou étude du bonheur, est un secteur en pleine expansion. L'une de ses figures de proue est Daniel Kahneman, colauréat du prix Nobel d'économie en 2002. En mars dernier, le Pr Richard Layard a donné trois conférences sur le bonheur à la London School of Economics, dans lesquelles il a qualifié le PIB de "piètre mesure du bien-être". Et, fait révélateur, la cellule de prospective du cabinet du Premier ministre britannique a publié en janvier dernier un document de réflexion intitulé Life Satisfaction : the State of Knowledge and Implications for the Government [Satisfaction vitale : l'état de la question et ses implications pour la gestion des affaires publiques]. Le document concluait, entre autres, qu'il y avait de "bonnes raisons pour que l'Etat intervienne pour accroître la satisfaction vitale". Chacune des 64 pages du document portait clairement la mention "Ceci n'est pas une déclaration de politique". Il manquait juste le mot "encore". Sous peu, le bonheur deviendra la nouvelle monnaie, et la Grande-Bretagne pourrait avoir son ministère du Bon Temps.

Richard Tomkins*

* Elu journaliste économique de l'année 2003 par le World Leadership Forum.

CONTEXTE

"L'augmentation du produit national brut (PNB) n'est pas la fin du développement, et mon pays continue à être guidé par la promotion du bonheur national brut (BNB)", rappelait en septembre 2002, devant l'ONU, le ministre des Affaires étrangères du Bhoutan. Le petit royaume himalayen est le seul pays du monde à avoir adopté officiellement cette philosophie d'un progrès respectueux des valeurs humaines. En France, plusieurs experts s'intéressent de près au concept de BNB, notamment Dominique Méda, auteur de Qu'est-ce que la richesse ? (éd. Aubier, coll. "Alto", 1999), et Patrick Viveret, auteur du rapport Reconsidérer la richesse, remis en 2002 à Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'Economie solidaire du gouvernement Jospin.

 
Document 10 : Classements de quelques pays selon le PIB, le PIB par tête et l'IDH, 2000.

    Rang

IDH

Pays

IDH

PIB en milliards de dollars PPA

Rang PIB

Population (millions)

PIB par tête en dollars PPA

Rang PIB / tête

1

Norvège

0,942

134,4

4,5

29 918

3

6

Etats-Unis

0,939

9 612,7

1

283,2

34 142

2

9

Japon

0,933

3 394,4

3

127,1

26 755

11

12

France

0,928

1 426,6

6

59,2

24 223

18

16

Luxembourg

0,925

21,9

0,4

50 061

1

60

Russie

0,781

1 219,4

10

145,5

8 377

73

Brésil

0,757

1 299,4

9

170,4

7 625

96

Chine

0,726

5 109,4

2

1 275,1

3 976

97

Tunisie

0,722

60,8

9,5

6 363

124

Inde

0,577

2 395,4

4

1 008,9

2 358

173

Sierra Leone

0,275

2,5

4,4

490

Source : PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, 2003.

 

Document 11 : Un baromètre des inégalités : le BIP 40

 
Document 12 : « BIP40 » : La méthodologie en bref

Il s'agit d'abord d'identifier les séries statistiques qui sont censées refléter les diverses dimensions des inégalités, puis de les additionner. Cette démarche est largement tributaire des statistiques disponibles et, sur certains sujets pourtant importants (comme la santé), l'information fait singulièrement défaut. Comment additionner ensuite des taux de chômage et des inégalités de revenus, des expulsions et des nombres de français soumis à l'ISF ? La démarche comporte nécessairement une part d'appréciation subjective dans le choix des indicateurs retenus ainsi que dans le poids accordé à chacun d'eux. La méthodologie retenue pour procéder à cette agrégation s'inspire des travaux réalisés sur cette question, par exemple pour la confection de l'IDH (Indice du développement humain du PNUD) ou d'indicateurs analogues. Cette démarche comporte deux étapes :

dans un premier temps, chaque série de base (par exemple le taux de chômage) est normalisée sur un intervalle commun variant de 0 à 10. Une note de 0 est accordée à la valeur de l'indicateur qui correspond à la valeur la plus basse observée sur la période (le plus faible degré d'inégalité) et, réciproquement, une note de 10 est accordée à la valeur la plus haute (celle qui traduit le plus fort degré d'inégalité). Sur cet intervalle de 0 à 10, les valeurs des série de base sont ensuite normalisées.

dans un second temps, on procède à l'agrégation des indices normalisés ainsi obtenus en accordant à chacun d'eux un certain poids. Cette étape fait nécessairement intervenir une part de subjectivité. C'est le cas pour la confection du BIP40 comme pour le calcul de tout indice d'inégalité, y compris les indices synthétiques les plus couramment employés.

En effectuant la somme pondérée de ces indices normalisés, on aboutit ainsi à un indice agrégé qui traduit la tendance observée année après année dans l'évolution des inégalités et de la pauvreté.

Source : http://www.bip40.org

 

Questions préalables sur les documents : (50% des points)

 

Document 1  : Quelle est l'idée principale développée dans ce document ?

Document 2  : Comment se calcule le PIB par tête ? A quoi sert-il ? Expliquez quelles en sont les limites.

Document 3  : Quel était le niveau de la consommation globale en 1989 ? Quelle est l'information principale de ce document ?

Document 4  : Quelles sont les productions comptabilisées dans le PIB ? Comment sont évaluées les productions non marchandes ?

Document 5  : Quelles sont les limites comptables et techniques du calcul du PIB ?

Document 6  : Donnez des exemples afin de faire comprendre ce que sont les services non marchands publics et privés. Distinguez économie souterraine et économie informelle.

Document 7  : Faites une phrase donnant sens à la première ligne du tableau. Quel problème économique pose l'économie souterraine (pensez au circuit) ?

Document 8  : Qu'est-ce que le développement durable ? Construisez un tableau afin de comparer l'IIS, l'IDH, l'IPH, le BIP40 (il est nécessaire pour certains de ces indicateurs de faire des recherches sur Internet au CDI).

Document 9  : Quel est le paradoxe mis en évidence par l'auteur ? Représentez schématiquement la pyramide des besoins de Maslow et expliquez-en brièvement le fonctionnement.

Document 10  : Que retenez-vous de ce tableau ? Donnez-en des exemples parlants.

Document 11  : Décrivez l'évolution du BIP40.

Document 12  : Au CDI, sur Internet, cherchez quelles sont les variables agrégées dans le BIP40 (cf. question du document 8).

 

Question de synthèse : (50% des points) (réponse structurée, argumentée et illustrée d'exemples chiffrés ou non) Un plan possible si vous n'en avez pas : 1) Limites techniques 2) Limites « philosophiques ».

 

 

Quelles sont les limites du PIB ? (50% des points)