La dimension relative de la délinquance dans l'espace social

TD 24 mai 2006 PES1-Koeberlé

 

Consigne : Les élèves doivent formuler les questions d'une pseudo-qstp. (TP et QS) en veillant à mettre en évidence des liens entre les documents.

 

Document 1 : Une justice de classe ?

Les lois s'appliquent tendanciellement plus à certaines personnes qu'à d'autres, comme le montrent clairement les études sur la délinquance juvénile. Quand les garçons des classes moyennes sont appréhendés, ils ne vont pas aussi loin dans le processus judiciaire que les garçons des quartiers misérables. Un garçon des classes moyennes qui s'est fait prendre par la police risque moins d'être conduit au poste et, s'il y a été conduit, d'être fiché ; il risque encore moins d'être déclaré coupable et d'être condamné. Cette différence reste vraie même si l'infraction est, au départ, la même dans les deux cas.

Source : Howard Becker, Outsiders (1963), Métailié, 1985.

 

 

Document 2 : Part des 13-19 ans qui déclare avoir commis au moins un délit par type de délit et par PCS des parents (%)

Infractions

Ouvriers

Employés

Prof. intermédiaires

Cadres

Artisans commerçants

Tous délits confondus

64.5

66

62

65.5

67

Consommation de cannabis

18.5

25.5

32

37

30

Petites dégradations

8.5

8.5

4.1

5.5

7.5

Dégradations graves (incendies, caillassage)

38

45

41

44

48

Vols simples

38

45

41

44

48

Vols graves (cambriolages, rackets…)

7.5

7

3.5

4.5

1

Dont racket

3.5

2

1

<1

nr

Agressions physiques (bagarres)

24

25

19

18

27

Port d'une arme non autorisée

13.5

12

10

10

14

Trafics (revente)

17

16

12

12

13.5

Dont cannabis

4

3

5

5

nr

Note : Les adolescents ont été interrogés, en 1999, sur les délits qu'ils avaient commis les deux années précédentes. Lecture : 64.5% des enfants d'ouvriers déclarent avoir commis au moins un délit sur la période. Source : d'après S. Roché, La délinquance des mineurs, p. 100-104.

Source : Romain Geny, Délinquance, sentiment insécurité et « quartiers sensibles », IDEES n°128, juin 2002.

 

 

Document 3 : Qu'est-ce que la criminalité ? Des activités qui violent le droit pénal. Apparemment rien à redire à cela. Des montagnes de recherche […] montrent que la criminalité est hautement corrélée à la pauvreté, aux familles éclatées, et à tous les critères de ce que l'on appelle la « pathologie sociales » […] Mais comment cela peut-il être vrai alors qu'il existe une délinquance en col blanc, des crimes commis par des gens très aisés n'affichant aucun des signes extérieurs de pathologie sociale, et par des entreprises comptant parmi les plus grandes et les plus respectées du pays, qui, elles non plus, n'étaient pas issues de familles éclatées ? La réponse à cette question est simple. Personne ne pense que les crimes commis par les gens aisés et les grandes entreprises sont, fondamentalement, de « vrais crimes » ! Donc, pour cette raison, les criminels en col blanc sont beaucoup moins souvent condamnés que les criminels ordinaires.

Source : Howard Becker, Les ficelles du métier, La découverte, 2002.

Document 4 : La loi sur la sécurité quotidienne ( )

En juin 2001, le gouvernement Jospin déposa en urgence un projet de « Loi sur la sécurité quotidienne » (LSQ), afin de renforcer les dispositions relatives à la tranquillité des citoyens. […] Examinons de près les débats parlementaires autour de ce petit article. […] Qu'avait voulu le Sénat ? En faisant de l'occupation d'immeuble un délit pénal (et non plus une simple infraction), il élevait une pratique sociale propre à une classe d'âge bien déterminée, qui partage conditions sociales et habitat. Il élevait l'occupation de « tuer le temps entre copains dans son hall d'immeuble » au rang de délit. Certes, ce loisir de fortune, au fil du temps, a engendré un conflit inévitable ; conflit entre ceux qui stationnent (dans les parties communes) et ceux qui résident (dans les parties privatives). Faire de ce conflit une affaire de justice et non plus de voisinage revient à définitivement étiqueter comme criminelle la triste habitude prise de tenir les murs. Bien entendu, ces rassemblements peuvent aussi servir des fins autres que l'oisiveté en pure perte, comme les recels et trafics divers, voire les menaces et violences faites à autrui, notamment aux femmes. Mais ces actes sont déjà des délits, voire des crimes, déjà poursuivis comme tels. La proposition sénatoriale sur les rassemblements dans les halls d'immeuble semblait donc signer la criminalisation de l'occupation oisive de l'espace par les jeunes des grands ensembles urbains. […]

Source : http://www.vacarme.eu.org/article327.html

 

Document 5 : Les entrepreneurs de morale

Les normes sont le produit de l'initiative de certains individus, et nous pouvons considérer ceux qui prennent de telles initiatives comme des entrepreneurs de morale. Deux types d'entrepreneurs de morale retiendront notre attention : ceux qui créent les normes et ceux qui les font appliquer. Le prototype du créateur de normes (…), c'est l'individu qui entreprend une croisade pour la réforme des mœurs. Il se préoccupe du contenu des lois. Celles qui existent ne lui donnent pas satisfaction parce qu'il subsiste telle ou telle forme de mal qui le choque profondément. Il estime que le monde ne peut pas être en ordre tant que les normes n'auront pas été instaurées pour l'amender. Il s'inspire d'une étique intransigeante : ce qu'il découvre lui paraît mauvais sans réserves ni nuances, et tous les moyens lui semblent justifiés pour l'éliminer. Un tel croisé est fervent et vertueux, souvent même imbu de sa vertu » […] La déviance – au sens adopté ici d'action publiquement disqualifiée – est toujours le résultat des initiatives d'autrui (…) Les normes ne naissent pas spontanément. (…) Sans ces initiatives destinées à instaurer des normes, la déviance, qui consiste à transgresser une norme, n'existerait pas : elle est donc le résultat d'initiatives à ce niveau. Mais la déviance est aussi le résultat d'initiatives à un autre niveau. (…) Il faut découvrir des délinquants, les identifier, les appréhender et prouver leur culpabilité (ou bien marquer qu'ils sont "différents" et les stigmatiser pour cette non-conformité, dans le cas de groupes déviants qui, comme par exemple les musiciens de danse, restent dans la légalité). […] Il est significatif que la plupart des recherches et des spéculations scientifiques sur la déviance s'intéressent plus aux individus qui transgressent les normes qu'à ceux qui les établissent et les font appliquer. (…) Nous devons considérer la déviance et les déviants, qui incarnent ce concept abstrait, comme un résultat du processus d'interaction entre des individus et des groupes : les uns, en poursuivant la satisfaction de leurs propres intérêts, élaborent et font élaborer les normes sous le coup desquelles tombent les autres qui, en poursuivant la satisfaction de leurs propres intérêts, ont commis des actes que l'on qualifie de déviants. […] Les différences dans la capacité d'établir des normes et de les appliquer à d'autres groupes sont essentiellement des différences de pouvoir (légal ou extra-légal). Les groupes les plus capables de faire appliquer leurs normes sont ceux auxquels leur position sociale donne les armes et du pouvoir. Les différences d'âge, de sexe, de classe et d'origine ethnique sont toutes liées à des différences de pouvoir. C'est cette relation qui explique les différences de degré dans la capacité des groupes ainsi distingués à établir des normes pour les autres.

Source : Howard Becker, Outsiders (1963), Métailié, 1985, chapitre 8.

 

 

marjorie.galy@wanadoo.fr