Pourquoi les filles bavardent-elles et les garçons se bagarrent-ils à la récré ?
DOCUMENT 1 : Une différenciation sexuelle très précoce
Tous les comportements de l'enfant sont, dès son plus jeune age, « lus » et interprétés différemment selon son sexe, par les adultes […]. Par exemple, les pleurs d'un nourrisson sont interprétés en termes de colère si le bébé est présenté comme un garçon, en termes de peur s'il est présenté comme une fille ; ou encore, devant des bébés comparables, on emploiera plus souvent le qualificatif de « grand » si le bébé est un garçon, de « mignonne » s'il s'agit d'une fille. Sans s'en rendre compte, les mères se comportent différemment, notamment dans les jouets qu'elles proposent, mais aussi dans leurs interactions verbales : on parle plus, on reprend plus les bruits émis par l'enfant, quand il s'agit d'une fille. Il semble donc que l'on stimule leur comportement social davantage que chez les garçons. Par contre, ces derniers sont plus stimulés sur le plan moteur : on les manipule avec plus de vigueur, on les aide à s'asseoir, à marcher, plus que quand il s'agit d'une fille […]. Les stéréotypes liés au sexe masculin ou féminin, « ce qui se sait », quand on est un homme ou une femme vont donc être partagés par les enfants dès leur plus jeune âge. Quand on demande, par exemple, à des enfants de 3-4 ans de choisir, sur des photos ou parmi des objets réels, des jouets (ou des activités) propres à leur sexe, ils expriment dès cet age des préférences conformes à leur sexe.
Marie Duru-Bellat, l'école des filles, L'Harmattan, 1990.
Le Monde de l'éducation : pensez-vous que les enseignants ont réellement des attentes différentes selon qu'il s'agit de garçons ou de filles?
Nicole Mosconi : Oui. Et à ces attentes correspondent des comportements. A partir de l'étude des interactions enseignants/élèves, il a été mis en évidence que, dans les classes mixtes, les enseignants s'occupent davantage des garçons que des filles, abstraction faite du sexe de l'enseignant, encore que ce point nécessite des compléments d'études. Cela se manifeste de deux façons différentes . Si l'on s'intéresse à la « position haute » (ceux que l'on appelle les bons élèves), on constate que la fille est interrogée le plus souvent pour rappeler les savoirs de la leçon précédente. Le garçon est sollicité au moment du cours où il y a production de savoir . La fille rappelle, le garçon est intégré aux opérations cognitives. Le garçon est aussi interrogé beaucoup plus souvent que la fille, c'est la règle du 2/3 - 1/3. Je me suis intéressée à une classe de 5è. Le professeur était un homme. Il y avait quinze filles et neuf garçons. Cette classe apparaissait comme un contre-exemple; il y avait plus d‘interactions avec les filles qu'avec les garçons. Une du mes étudiantes a qualifié spontanément les filles de « porte-craies » : elles étaient souvent convoquées au tableau pour marquer les résultats. Au moment crucial du cours, celui où est introduit l'élément déterminant, l'enseignant envoie au tableau le premier de la classe, un garçon. II a du mal à faire l'exercice, il lui faut la complicité de l'enseignant qui se tient à ses côtés et l'aide au maximum. Pour l'exercice suivant, l'enseignant appelle une fille. Il gagne le fond de la classe et la laisse s'enferrer dans ses difficultés et la harcèle sans l'aider vraiment.
Comment ces comportements différents des enseignants envers les garçons et les filles trouvent-ils leur cohérence?
Tout concourt à valoriser le garçon , à lui donner de l'importance. Les psychologues américains disent qu'il y a une socialisation du garçon à l'indépendance, de la fille à la dépendance. […]
Propos recueillis par Christian Bonrepaux, Le monde de l'éducation, janvier 2003.
DOCUMENT 2 BIS : Profs sous influence ?
Dans les années 1990, la thèse de Mireille Desplats met en évidence le fait que les notes scolaires ne sont pas la pure expression de la valeur de la copie. Elles sont influencées, notamment, parla variable sexe : les mêmes copies de physique, bonnes, moyennes ou médiocres, sont distribuées à un panel d'enseignants avec un prénom de garçon ou de fille. Quand il s'agit d'une bonne copie, la note est plus élevée si elle correspond à un prénom de garçon. Mais quand la copie est médiocre, elle obtient une moins mauvaise note avec un prénom de fille. Le paradoxe n'est qu'apparent. L'attente de réussite en matière scientifique est plus grande du côté des garçons que des filles. Quand un garçon en rend une mauvaise, on le punit plus sévèrement. En revanche, on n'attend pas grand chose des filles et on les traite avec indulgence. Nicole Mosconi parle de double standard d'évaluation des élèves.
La méthode des cas fictifs de Bernadette Dumora, professeur de psychologie à Bordeaux (Gironde), met en évidence les mêmes phénomènes. Elle constitue des pseudo dossiers d'orientation en fin de classe de seconde. Parce qu'ils sont d'un niveau moyen, ces dossiers donnent une marge d'interprétation à l'enseignant. II apparaît que le même dossier, s'il correspond à un nom de garçon, a beaucoup plus de probabilité de conduire à une 1 ère scientifique.
Psychologue à l'Institut national d'étude du travail et d'orientation professionnelle, Françoise Vouillot précise que bien d'autres paramètres peuvent intervenir: l'origine sociale, l'apparence physique... Et que cette perception différenciée qui intègre la variable sexe n'est pas l'apanage des enseignants, mais constitue une valeur dominante de notre société.
Propos recueillis par Christian Bonrepaux, Le Monde de l'éducation, janvier 2003.
DOCUMENT 3 Extraits du rapport parlementaire : Rapport au Premier ministre " La représentation des hommes et des femmes dans les livres scolaires"
Manuels scolaires, littérature : la vision du travail présentée aux enfants reste très sexuée et à dominante masculine.
C'est en 1997 que sort un rapport rédigé par la députée RPR Simone Rignault et le sénateur centriste Philippe Richert sur la représentation des hommes et des femmes dans les livres scolaires. En passant au crible les manuels de la maternelle au lycée, les deux auteurs dressent un constat alarmant : les auteurs de référence des ouvrages scolaires sont majoritairement des hommes, comme le sont 90 % des héros des histoires narrées aux élèves. Cinq ans après ce rapport, l'Education nationale n'a toujours pas rectifié le tir. Des commissions se sont succédé sur le dossier «sexisme et stéréotypes», suivies d'un chapelet de préconisations et de la signature, en février 2000, d'une convention pour l'égalité fille-garçon en milieu scolaire. […]
Par Muriel GREMILLET, Nadya CHARVET, Libération, lundi 17 décembre 2001.
Simone Rignault, Philippe Richert.
[…] Les femmes apparaissent moins souvent que les hommes
Un déséquilibre numérique
La mission a étudié plusieurs livres dans toutes les matières. Presque toujours, les filles et les femmes apparaissent moins souvent que les hommes. Sont-elles effectivement moins nombreuses ? En 1993, selon l'INSEE (état civil et recensement de la population) les femmes représentaient 51,3 % de la population totale en France. L étude d'un livre de français de CM2 (1992), comportant 43 textes littéraires, 16 poésies et 36 ensembles documentaires, illustre cette absence des femmes. L'étude a consisté à identifier le héros des 43 textes présentés. Lorsque le héros est unique et le scénario centré sur un seul personnage, le héros masculin apparaît 16 fois contre 3 fois pour le héros féminin. S'il y a 2 héros, 10 fois ce sont deux personnages masculins et 1 fois seulement un garçon et une fille, pas une seule fois deux femmes, ou deux filles. Lorsque les héros sont multiples, la mère ou l'épouse sont citées 3 fois seulement.[…]
Le stéréotype classique de la « femme aux fourneaux »
Alors que la participation des femmes à la vie économique s'est considérablement accrue au cours des dernières décennies, les femmes dans les manuels scolaires apparaissent très souvent liées à un territoire unique, la maison. Les femmes sont cantonnées à l'intérieur, dans le milieu familial, reprenant le partage des tâches que l'on trouvait dans la société d'avant-guerre. Cela accrédite l'idée que leur parcours professionnel est mineur par rapport au rôle qu'elles doivent nécessairement jouer à l'intérieur de la famille. Il est vrai que, dans la réalité, le partage des tâches familiale et domestique évolue très lentement et que les rôles traditionnels ont tendance à perdurer. Environ 40 % des hommes reconnaissent n'accomplir aucune tâche domestique.
Dans un ouvrage parascolaire, dans le premier niveau – anglais 6 e - les tableaux de vocabulaire montrent des scènes de la vie courante, la mère fait les courses au supermarché, de même que la grand-mère, pendant qu'une jeune caissière enregistre les différents achats. Les stéréotypes se rencontrent dans les livres dans toutes les matières, en langues, comme en mathématiques ou en histoire. La répartition des tâches entre les hommes et les femmes se perçoit dans les énoncés des problèmes de mathématiques. «Pour s'équiper en outillage M. Duchemin a fait l'achat d'une perceuse à 415,70 F et d'une scie à 188,90 F. Pour le repas, M me Duchemin a acheté un rôti de veau à 59 F et un camembert à 11,60 F. Mme Duchemin envoie Christine chez le boulanger pour acheter une ba guette ... »[…]
Lorsque les femmes apparaissent, les qualités et les activités qui leur sont attribuées diffèrent considérablement de celles des hommes
[…] Cette grande catégorisation attribuée aux hommes et aux femmes est dans tous les esprits. Elle constitue la base des stéréotypes de sexe, c'est à dire l'ensemble des traits de personnalité censés caractériser les membres d'un groupe d'un même sexe. On la retrouve déclinée dans les dictionnaires et les ouvrages.
* Dans un dictionnaire, au mot bien : elle est bien, elle est belle ; Un homme bien est un homme estimable (= sérieux).
Beaucoup de stéréotypes sexistes se trouvent concentrés dans cet exemple. L'homme est sérieux et estimable, il occupe une place reconnue dans l'organisation sociale où il agit, la femme est belle, elle décore, elle est un enchantement des yeux et ne doit pas se tourner vers des activités austères (les mathématiques par exemple) sous peine de perdre sa joie et sa beauté. De la classification, on passe insensiblement à une hiérarchisation des sexes, avec des caractéristiques négatives attribuées aux femmes. À côté de la femme-fleur, on retrouve la mégère, la sorcière et dans certains ouvrages, la furie.[…]
* Exemple pris dans un autre dictionnaire (opus cité) pour illustrer le mot Bain : le président prend un bain de foule, Jeanne prend un bain de soleil. Dans cet exemple caricatural, la ligne de démarcation est nettement tracée, les femmes apparaîtront dans des activités qui incitent au jeu, aux loisirs, et les hommes dans des rôles plus austères et occupant des postes de responsabilités et de pouvoir.[…]
DOCUMENT 4 : Images féminines et masculines
Le petit chaperon rouge est l'histoire d'une fillette à la limite de la débilité mentale, qui est envoyée par une mère irresponsable à travers des bois profonds infestés de loups, pour apporter à sa grand-mère malade de petits paniers bourrées de galettes. Avec de telles déterminations, sa fin ne surprend guère. Mais tant d'étourderie, qu'on n'aurait jamais pu attribuer à un garçon, repose entièrement sur la certitude qu'il y a toujours à l'endroit et au moment voulus un chasseur courageux et efficace prêt à sauver du loup la grand-mère et la petite fille.
Blanche-neige est une autre petite oie blanche qui accepte la première pomme venue, alors qu'on l'avait sévèrement mise en garde de ne se fier à personne. Lorsque les sept nains acceptent de lui donner l'hospitalité, les rôles se remettent en place : eux iront travailler, et elle tiendra pour eux la maison, reprisera, balaiera, cuisinera en attendant leur retour. Elle aussi vit comme l'autruche, la tête dans le sable, la seule qualité qu'on lui reconnaisse est la beauté, mais puisque ce caractère est un don de la nature, et non un effet de la volonté individuelle, il ne lui fait nullement honneur. Elle réussit toujours à se mettre dans des situations impossibles, et pour l'en tirer, comme toujours, il faut l'intervention d'un homme, le prince charmant, qui l'épousera fatalement.
Cendrillon est le prototype des vertus domestiques, de l'humilité, de la patience, de la servilité, du sous-développement de la conscience, elle n'est pas très différente des types féminins décrits dans les livres de lecture aujourd'hui en usage dans les classes primaires et dans la littérature enfantine en général. Elle non plus ne bouge pas le petit doigt pour sortir d'une situation intolérable, elle ravale les humiliations et les vexations, elle est sans dignité ni courage. Elle aussi accepte que ce soit un homme qui la sauve, c'est son unique recours, mais rien ne dit que ce dernier la traitera mieux qu'elle ne l'était jusqu'alors.
Les personnages féminins des légendes appartiennent à deux catégories fondamentales : les bonnes et incapables et les malveillantes. « On a calculé que dans les contes de Grimm 80% des personnages négatifs sont des femmes. »
Pour autant qu'on prenne la peine de le chercher, il n'existe pas de personnage féminin intelligent, courageux, actifs et loyal. Même les bonnes fées n'ont pas recours à leurs ressources personnelles, mais à un pouvoir magique qui leur a été conféré et qui est positif sans raison logique, de même qu'il est malfaisant chez les sorcières. Un personnage féminin doué de qualités humaines altruistes, qui choisit son comportement courageusement en toute lucidité, n'existe pas. La force émotive avec laquelle les enfants s'identifient à ces personnages confère à ces derniers un grand pouvoir de suggestion, qui se trouve renforcé par d'innombrables messages sociaux tout à fait cohérents. S'il s'agissait de mythes isolés survivant dans une culture qui s'en détache, leur influence serait négligeable, mais la culture est au contraire imprégnée des mêmes valeurs que ces histoires transmettent, même si ces valeurs sont affaiblies et atténuées.
Elena Gianini Belotti, « Du côté des petites filles », Edition des Femmes, 1974.
DOCUMENT 5 : Le choix des jouets
Le récent catalogue d'un distributeur de jouets classe les jouets en 3 rubriques cenrtales : "pour les petits", "pour les filles", "pour les garçons" . La présentation de la partie du catalogue destinée aux filles est tout un programme : "Ca y est! C'est Noël ! Mademoiselle est ravie : elle va enfin pouvoir cajoler le bébé, le promener dans le landau dont elle rêve tant ! Elle aura été si sage qu'elle aura très certainement le vanity avec lequel elle pourra s'occuper d'Esmeralda, danseuse, qui ainsi, ne se fera peut-être plus prier pour passer l'aspirateur ! Pourvu que le père Noël n'oublie rien."
La présentation de la partie du catalogue destinée aux garçons n'est pas en reste : "Chacune part en voyage, il passe devant la ferme en bois du père François et contourne le circuit spiderman, il roule rtanquillement.
Oh là là, il n'y a presque plus d'essence, vite un multigarage. Devant la pompe, quel n'est pas son étonnement : un micro-machines x-wing (un avion) a fait le plein !"
Alain Bihr et Roland Pfefferkorn, Le Monde, 19 décembre 1996.
TRAVAIL A FAIRE (groupes de 3 à 4 élèves)
1) Lisez chaque document en surlignant les passages importants (pas trop).
2) Rédigez une petite synthèse (15-20 lignes minimum), reprenant les exemples les plus pertinents (= parlants) des différents documents qui précèdent afin de répondre à la question de cette partie du cours.