Johanna portrait n°20 (1,8/10)

Imane portrait n°26 (7,9/10)

Rapport à l'école

Méfiance du père envers les sociologues envoyés par l'école. Le père mélange les niveaux scolaires (le sien et ceux de ses enfants) La mère : il est « trop tard » pour elle pour reprendre des études d'infirmière. Père : incohérence dans la description de la scolarité de l'aîné : tout va bien à l'école mais il n'envisage que l'échec pour son fils « on aurait aimé qu'il aille jusqu'au bac » : phrase assassine pour un enfant en 5 ème  ! Sur-investissment scolaire des parents qui dépossèdent l'enfant de son rapport à l'école (elle semble passive : contrôle des notes et du travail scolaire, cahier de vacances : 2h/jour !, mère parfaitement au courant des difficultés scolaire de ses enfants, elle sollicite des entretiens avec l'instit mais elle n'est pas patiente pour expliquer, elle sanctionne et s'énerve).

Père informé du rendez-vous par sa fille, il demande des précisions sur le statut des enquêteurs (« universitaires » ?). Il demande de lui parler de l'étude menée. Soin du travail scolaire d'Imane. Fait les math avec les CM1., elle participe en classe, elle comprend très vite, n'oublie jamais ses affaires.

Le discours du père est extrêmement favorable à l'école, il manifeste en plus un fort engagement professionnel pour la formation continue et promotion interne.

Le père gère la scolarité de ses enfants, il parle souvent de l'école avec ses enfants : à table. Imane réclame de l'aide (elle est active) pour faire les devoir de son frère qui est en CM2, et le père veille à ce qu'elle ne s'embrouille pas. Père veille au temps consacré aux devoirs et aux jeux. Père pousse ses enfants à lire et faire exo au-delà des demandes des instit pendant les vacances mais sans contraintes.

 

Rapport à l'écrit

La TV marche pendant l'entretien. Père : aucune pratique de lecture. Mère lit des revues TV et féminines « au boulot ». La famille est abonnée à France Loisir, la mère déclare lire un livre par mois. Présence d'une encyclopédie à l'envers dans la bibliothèque = capital culturel mort, les parents n'investissent pas ces livres, ils ne sont que décoratifs. Ne vont pas à la bibliothèque municipale. Johanna ne lit que des livres avec images, pas d'abonnement revue pour enfant, ne demande pas des livres sauf dans le magasin. Les livres de Johanna sont de partout, pas de rangements pour les livres. Parents n'aiment pas écrire (écriture domestique) « ça prend du temps », paperasse pour la mère qui dit n'écrire que sous contrainte, quand il n'y a pas le choix : pas de listes de courses, de tenue des comptes, calendrier pas à la bonne date…

Langage du père explicite et construit (socialisation politique = lectures, prise de parole en réunion, apprendre à argumenter et convaincre, écrire des tracts…)

Nombreuses lectures politiques en Tunisie (« Jeune Afrique »), connaît poète classique égyptien. Lit 3 fois par semaine « Le progrès » (l'équivalent des DNA en région lyonnaise) et « Le renouveau » (journal tunisien). C'est le père qui s'occupe de la paperasse car la mère n'est pas assez compétence avec le français. Il classe avec méthode les papiers administratifs. Le budget est calculé, les comptes sont tenus. Utilisation de calendriers.

Les enfants sont impliqués dans les écritures domestique +/- ludiques : mots au père pour l'école quand il rentre tard du travail. Les enfants tiennent à jour les albums photos + commentaires. Lettres aux cousins lors de fêtes religieuses et laïques. Relations étroites (lettres et visites) de Imane avec sa cousine étudiante en droit. Quand elle est malade, Imane rédige des histoires à la maison, jeu de petits mots avec ses frères.

Père accompagne ses enfants à la bibliothèque tous les 15 jours. Imane lit beaucoup, le soir pour s'endormir, sa mère lui racontait aussi des histoires le soir quand elle était petite.

 

Rapport au temps et à l'espace

Père a oublié le rendez-vous, sa fille ne lui a pas transmis le papier l'en informant.

Le père s'absente pendant l'entretien pour accompagner une cousine faire une course. Pas de planification / rationalisation de l'utilisation du temps et des tâches. Les horaires du coucher, des repas des enfants sont variables. Johanna ne sait pas évaluer son temps de travail scolaire ni l'heure à laquelle elle se couche.

 

Mère gère parfaitement l'univers domestique. Rythme familiaux réguliers ; heures repas et coucher fixes.

Père donne des conseils pour aider ses enfants à planifier travail scolaire, ne pas s'y prendre au dernier moment, planifier, travail régulier et quotidien…

 

Divers

Education coercitive avec fessées quand mauvaise note (école = punition).

Les parents ne font pas confiance aux enfants pour l'école.

 

Dialogue, écoute, calme, explicitation des règles et comportements appropriés.

Les parents font confiance aux enfants pour l'école.

 

Tableau synthétique d'après B. Lahire « Tableaux de familles », 1995, Seuil.

 

Généalogie des deux familles

 

Lignée paternelle

Lignée maternelle

 

H = F

H = F

Grands Parents

GP : « sous directeur des travaux publics.

GM : usine et femme au foyer.

GM veuve travaille à l'usine

Parents

H = F

 

Tante de Johanna bachelière « Directrice en télécommunication »

Père Johanna 37 ans ouvrier électricien (OQ, PCS 6) CAP d'électricien, en métropole depuis 12 ans

Mère 35 ans aide soignante (PCS 5), niveau seconde

Tante niveau première.

Enfants

Grand frère en 5 ème 2 ans de retard

Johanna 8 ans en CE2

Petit frère en maternelle

 

 

Lignée paternelle

Lignée maternelle

 

H = F

H = F

Grands Parents

GP : gardien, école coranique

GM : inactive, jms scolarisée

GP : agriculteur GM : inactive

Lisent et écrivent l'arabe.

Parents

H = F

 

Oncle avec 3 enfants longues études.

Père 41 ans originaire Tunisie, en France depuis 1972, sixième (un redoublement) Régleur P-3 (OQ PCS 6)

Militant politique en Tunisie qui l'obligea à émigrer vers la France = socialisation politique.

Mère 38 ans en France depuis 1975, école coranique 3-4 ans, lit et écrit mal le français

Enfants

Grand frère 17 ans BEP

grand frère 12 ans en 5ème

Imane 8 ans en CE2

Entrée précoce en maternelle 2,5 ans

Grand frère 10 ans CM2

 

Cousine en licence droit, cousine styliste et cousin bac STT

 

Ce qu'il faut retenir : Les résultats scolaires des 2 cas sont paradoxaux car avec la dotation initiale en capital scolaire des parents, Johanna devrait mieux réussir qu'Imane au regard des diplômes et de la bi-activité de ses parents. Cela confirme que la socialisation est un processus incertain, jamais automatique ou mécanique. Le faible capital scolaire des parents n'est pas la cause première de l'échec scolaire, c'est davantage comment les parents perçoivent le rôle de l'école, comment ils en parlent (ou les non-dits) qui jouent dans la réussite scolaire des enfants et non les capacités scolaires des parents pour l'aide au devoir des enfants. Le rapport au temps et à l'écrit dans la famille semblent également jouer beaucoup car ils sont des prédispositions importantes pour réussir à l'école : planifier, s'organiser, se projeter dans l'avenir, trier, classer ses idées pour apprendre, faire une fiche de révision, une dissertation, écrire et lire pour le plaisir et non seulement sous contrainte ou avec effort… Mais aucun de ces éléments ne joue tout seul ou n'est déterminant à lui seul, c'est leur cohérence qui produit des effets favorables.

 

Question : En tant que Ministre de l'Education Nationale désireux de lutter contre l'inégalité des chances à l'école, quelles mesures proposeriez-vous au regard des travaux de Bernard Lahire ?

Auteur : marjorie.galy@wanadoo.fr