La thèse fonctionnaliste , conduit à une vision linéaire de l'histoire de la monnaie. Le processus de dématérialisation est une réponse aux besoins croissants de monnaie pour faire face aux échanges marchands mais les différentes formes de monnaie continuent le plus souvent à coexister : la monnaie scripturale n'a pas fait disparaître les billets qui coexistaient déjà avec les pièces.
De la monnaie marchandise à la monnaie métallique
Les premières formes de monnaies auraient eu pour support des biens de toutes sortes. Selon Jean-Michel Servet, certaines haches préhistoriques étaient tellement fines qu'elles se seraient cassées à la première utilisation et ont donc une fonction non utilitaire. Elles constituent des «paléo-monnaies». De manière plus certaines, de nombreuses marchandises ont ainsi servi de numéraire : coquillages, bétail, sel, fève de cacao, etc.
Le bien servant de monnaie doit, dans l'idéal, présenter des caractéristiques particulières :
On comprend mieux alors pourquoi les métaux précieux et l'or ont longtemps servi de monnaie d'échange.
La monnaie métallique peut prendre plusieurs formes. La monnaie pesée (des lingots dont on pesait le poids avant de réaliser une transaction) apparaît en Egypte ou à Babylone. Plus tard, les lingots sont divisés en pièces, plus facilement transportables et permettant d'acquérir des quantités plus réduites. Les pièces sont enfin frappées par les autorités, politiques ou religieuses, qui en garantissent la teneur en métaux précieux. Portant l'effigie d'un souverain, elles n'ont cours que dans une zone géographique limitée (ce qui confirme le rôle social de la monnaie) et le pouvoir de battre monnaie fait partie des prérogatives régaliennes .
La pièce d'or, d'argent, de bronze ou d'un alliage quelconque est ainsi l'instrument de paiement le plus répandu de la Rome antique au XIXème siècle. Sa valeur faciale reflète sa teneur en métal, mais ce n'est pas toujours le cas. Les pièces récentes n'ont plus de référence à un poids de métal précieux. Elles sont devenues de véritables monnaies fiduciaires.
De la monnaie métallique à la monnaie fiduciaire
L'apparition du billet se fait en plusieurs étapes et s'inscrit dans une logique de simplification et de sécurité. Les premiers billets ne sont que des certificats de dépôt d'or dans des banques. Ils répondent aux besoins des marchands qui, soucieux de ne pas déplacer des grandes quantités d'or, le confient à une banque. Le certificat de dépôt en leur possession, ils peuvent voyager et se rendre chez le correspondant de leur banquier, qui leur fournira la contrepartie du billet.
On peut dater l'apparition du billet moderne à 1656, lorsque le Suédois Palmstruck décide [ ] au lieu de remettre des espèces métalliques aux détenteurs de [ ] certificats de dépôts, propose des billets portant engagement d'un remboursement en monnaie métallique. Ces billets présentent de nombreux avantages pour les particuliers. Anonymes, directement transmissibles, ils sont remboursables immédiatement en monnaie métallique. C'est ainsi qu'ils se mettent à circuler directement, sans se transformer en monnaie métallique.
Constatant que ces billets n'étaient jamais tous en même temps transformés en monnaie métallique, les banquiers prennent l'habitude d'en émettre plus que ce que leur stock de métal ne leur permet. On est donc en présence d'une véritable monnaie fiduciaire, reposant entièrement sur la confiance, sur la crédibilité de la banque qui émet les billets.
Les billets acquièrent ensuite le cours légal et le cours forcé. Le premier désigne l'obligation faite à tous les agents économiques d'accepter le billet comme moyen de paiement. Le second signifie que la convertibilité du billet en monnaie métallique n'est plus possible. C'est généralement au moment de graves crises financières, liées aux guerres par exemple, que le cours forcé est introduit (1848 ou 1870 par exemple).
De la monnaie fiduciaire à la monnaie scripturale
La monnaie scripturale représente une étape importante dans le processus de dématérialisation. Elle apparaît très tôt dans l'histoire bancaire et a précédé l'invention des billets. Ce n'est pourtant qu'au XXème siècle qu'elle s'impose pour les particuliers.
La monnaie scripturale correspond simplement à un jeu d'écriture dans les livres de compte des banques. On peut, grâce à elle, effectuer les règlements des opérations entre les agents sans utiliser des pièces ou des billets et donc la considérer comme un simple moyen de mise en circulation d'une monnaie métallique ou fiduciaire. Mais elle permet également d'accorder des crédits, par simple écriture d'une créance et d'une dette dans les comptes de la banque. La monnaie scripturale peut alors prendre son autonomie par rapport aux autres formes de monnaie et elle devient un élément essentiel de la création monétaire.
Les instruments qui permettent de faire circuler la monnaie scripturale sont nombreux : chèques, cartes de crédit, titre interbancaire de paiement, virements... La monnaie électronique, sous forme de porte-monnaie électronique ou de porte-monnaie virtuel, est assimilée par la BCE à une monnaie scripturale, car elle a pour contrepartie des dépôts bancaires. Cependant, ces porte-monnaie électroniques sont plus que les simples instruments de paiement que sont les chèques ou les cartes bancaires, puisqu'ils garantissent instantanément la solvabilité de leur utilisateur (comme les pièces et les billets).
b. Une évolution contestée
La présentation précédente donne l'impression d'une progression inéluctable vers des formes de monnaie dématérialisées. Elle est conforme à la thèse fonctionnaliste.
Pourtant, il faut nuancer cette idée. Tout d'abord, le processus de dématérialisation n'est pas aussi net qu'il le paraît. La coexistence de formes monétaires différentes est fréquente. Ainsi, l'apparition de la monnaie scripturale n'a pas fait disparaître les monnaies fiduciaires. Son essor est indissociable du besoin de crédit. Sinon, pièces et billets suffisent pour les acquisitions courantes. La monnaie électronique ne s'implante que très lentement alors qu'elle présente des qualités évidentes.
La dématérialisation n'est pas non plus un mouvement inéluctable et linéaire. Les périodes de retour en arrière sont fréquentes. Ainsi, le retour à l'or lorsque des tensions apparaissent, voire l'utilisation de biens comme unité de compte (cigarettes américaines ou bas de soie dans l'Europe de l'après-guerre), rappellent que la monnaie repose essentiellement sur la confiance. Que le lien psychologique s'effrite et la monnaie, ciment social, disparaît également.
Source : « Economie et histoire des sociétés contemporaines : cours et sujets corrigés », sous la direction de marc Montoussé, Classes préparatoires voie économique, 1 ère et 2 ème années, Bréal, 2001, pages 217-219 extrait d'un article de Pierre-André Corpron.
Thèse fonctionnaliste : se dit des explications qui fondent les causes des changements sur les contraintes liées au fonctionnement des sociétés, les changements qui en résultent sont souvent présentés comme incontournables et l'unique évolution possible.
Prérogatives régaliennes : les pouvoirs qui sont monopole de l'Etat (sécurité intérieur et extérieur, contrôle de la monnaie )
1) Qu'est-ce qui caractérise la monnaie fiduciaire ?
2) Pourquoi peut-on dire que la monnaie a une dimension sociale avant sa dimension économique ?
3) Pourquoi le cours forcé est généralement imposé lors des périodes de graves crises financières ?
4) Distinguez monnaie et moyen de paiement. Listez les exemples fournis dans le texte pour chacun en procédant chronologiquement.