TD 6 : La fin ou le retour des classes sociales ?

 

Objectifs : 1° Interroger la pertinence du concept de « classe sociale » dans nos sociétés contemporaines. 2° Apprendre à passer de l'information à l'argument et à trier des arguments (3°) en vue de mener un débat contradictoire.

 

Document 1 : « Avez-vous le sentiment d'appartenir à une classe sociale ? » 1966-1994

 

Document 2 : L'émiettement du prolétariat

Le groupe ouvrier apparaît bel et bien comme le grand perdant de la crise et plus généralement des mutations industrielles. Il ne s'agit plus seulement de restructurations internes comme à l'occasion d'autres mutations techno-économiques. Non seulement son poids relatif dans la structure sociale décline depuis les années 1960, mais ses effectifs chutent significativement depuis 1975 (d'après la nomenclature des P.C.S.). […]

Le groupe ouvrier a ainsi perdu les emblèmes qui le structuraient socialement et symboliquement : les mineurs, depuis longtemps, plus récemment les sidérurgistes, les métallurgistes, les travailleurs de l'automobile aux effectifs fortement réduits, n'ont plus la place centrale qu'ils occupaient dans les années 1960. Même les collectivités ouvrières de certains grands services (les cheminots, les dockers) n'échappent pas au rétrécissement de leurs rangs et surtout à la déstructuration professionnelle.

Source  : Serge Bosc, « Stratification et transformation sociales », Nathan, 1993, p.189-191.

Document 3 : Les cadres achètent le travail de l'employée qui achète du pain

[…]Relativement à leur budget, les ouvriers consomment […] presque 3 fois plus de tabac (+192 % par rapport au budget des cadres), 2 fois plus de pain, de volailles et de porc, moitié plus d'électricité, de bœuf, de charcuterie que les cadres, et un tiers de plus d'essence ; les cadres ont en revanche une prédilection certaine pour les réparations du logement (qui accroît la valeur du patrimoine immobilier), les remboursements des prêts de la résidence secondaire, les restaurants, les vacances, et les dons à la famille (postes qui représentent une part relative plus que double dans leur budget), et consomment 16 fois plus de services domestiques que les ouvriers. Les consommations différentielles permettent de constater qu'aujourd'hui encore, les moyens économiques des classes populaires servent à couvrir des besoins de base, et que le différentiel de niveau de vie à la faveur des cadres leur permet de s'approprier des biens et services élaborés inaccessibles aux autres catégories. Les consommations des cadres sont systématiquement orientées vers des services élaborés susceptibles de développer ces « nouveaux métiers » (aide à domicile, services de proximité, etc.) qui sont le plus souvent vieux comme le monde. […] Les écarts repérés ici n'ont guère varié au cours des dernières décennies, si ce n'est qu'une certaine convergence est à l'œuvre pour l'alimentation, et qu'une divergence se constitue pour les vacances, les loisirs en tous genres, l'achat du temps de travail d'autrui. […] Dans la société d'abondance, acheter le temps de travail d'autrui demeure le lieu des principaux clivages. A bien analyser les différences entre catégories sociales ou tranches de niveau de vie, il est évident qu'être 30 % au-dessus de la moyenne ou 30 % en dessous change profondément les profils de consommation et le bien-être qui peut en résulter. […] Aujourd'hui, 85 % des cadres partent en vacance pour 34 jours en moyenne par personne, et 56 % des ouvriers partent pour 21 jours (Bihr et Pfefferkorn, 1995) : les moyens économiques à la disposition des différentes classes sociales leur permettent de s'adonner à des loisirs clairement distincts.[…]

Source  : Louis Chauvel, « Le retour des classes sociales ? », revue de l'OFCE n°79 octobre 2001.

Document 4 : L'uniformisation des modes de vie

Sur le long terme, la distribution des revenus est devenue beaucoup moins inégalitaire. Les écarts d'aujourd'hui sont sans commune mesure avec ceux du XIXè siècle, ceux par exemple qui, d'après les comptes précis de Balzac, séparent les revenus d'Eugénie Grandet des revenus de « la grande nanon », sa servante. Les écarts en matière d'instruction se sont aussi considérablement réduits. L'élévation du niveau général d'instruction a été continue et elle s'est fortement accélérée après la Seconde Guerre mondiale. Cette évolution s'est accompagnée d'une réduction de l'inégalité des chances devant l'enseignement, observable dans les différents pays après 1945, tant au niveau de l'enseignement secondaire qu'à celui de l'enseignement supérieur. La répartition des niveaux scolaires au sein de la population s'est transformée, elle a évolué dans le même sens que la structure des revenus : le gonflement des catégories moyennes.

Il faut noter également une autre ligne d'évolution : le déplacement des inégalités économiques. Autrement dit, la portée des inégalités économiques s'est sensiblement modifiée à travers le temps : à quelques générations de distance, un même degré d'inégalité de revenus a changé de traduction concrète. La raison essentielle tient à l'élévation du niveau général du niveau de vie. La translation vers le haut de l'ensemble de la distribution des revenus a eu pour effet, au moins en ce qui concerne la très grande majorité, de reporter les inégalités bien au-delà de la sphère des besoins élémentaires.[…] p. 110-111.

Au XIXe siècle si l'ouvrier n'avait nulle sécurité pour l'avenir, le bourgeois se définissait comme un homme qui a des réserves, selon la formule d'André Siegfried. Aujourd'hui tous bénéficient d'une protection sociale et la bourgeoisie rentière a disparu. Le travail est devenu la règle et nombre d'attributs et de rites bourgeois qui marquaient les différences (en particulier la domesticité) appartiennent désormais au passé.

Cette tendance à l'homogénéité sociale est manifeste dans de multiples aspects de la vie quotidienne: la télévision parle urbi et orbi, elle s'adresse à des masses non à des classes, les embouteillages du dimanche soir rassemblent, si l'on peut dire, un peu tout le monde, le vêtement distingue beaucoup moins qu'autrefois les sexes, les âges et les milieux sociaux - la casquette de l'ouvrier s'opposait au chapeau du bourgeois, aujourd'hui le jean ignore les distinctions de classe... Les manières sont devenues plus « démocratiques » ou plus informelles - le sentiment d'égalité, notait Tocqueville, tend à miner le respect des formes. En France, le tutoiement s'est étendu, Monsieur ou Madame sont des formules qui tendent à s'effacer. Les manières européennes se coulent dans le moule démocratique ou américain. P. 118-120

Bénéton Philippe (1997), Les classes sociales , Paris, PUF, col. Que-sais-je ?, n° 341.

Document 5 : Temps de rattrapage

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Rapport du salaire cadres/ouvriers

Croissance annuelle moyenne du pouvoir d'achat du salaire ouvrier %

Temps de rattrapage théorique (années)

1955

3,9

+4,8

29

1960

3,9

+2,8

49

1970

3,8

+3,7

36

1980

2,9

+1,6

65

1990

2,8

+0,3

353

2000

2,5

+0,6

150

Source  : Louis Chauvel, in « Le renouveau d'une société de classes », Sous la direction de Paul Bouffartigue, Ed. La Dispute, 2004, page 59, d'après INSEE.

Lecture  : en 1955, le salaire moyen des cadres est 3,9 fois plus élevé que celui des ouvriers ; de 1950 à 1955, le taux de croissance annuelle du pouvoir d'achat du salaire ouvrier était de 4,8% par an ; à ce rythme, le temps nécessaire pour rattraper le pouvoir d'achat du salaire des cadres de 1955 est de 29 ans.

 

Document 6 : Qui sont les ouvriers aujourd'hui ?

A l'époque de Marx, on pouvait assimiler sans hésitation les notions de « prolétaire » et de « classes ouvrières ». En 1850, la classe ouvrière correspondait grosso modo à tous ceux qui vendaient leur force de travail et que l'on opposait aux paysans et aux propriétaires. Le lot commun des ouvriers était l'exploitation forcenée, la précarité de l'emploi et la misère… […] Mais comment raccorder cette définition de la classe ouvrière à la société contemporaine ? […] Les frontières de la classe ouvrière doivent-elles s'étendre à tous ceux qui vendent leur force de travail, c'est-à-dire l'ensemble des salariés ? Cela représente 85% des actifs… Faut-il s'en tenir aux seules catégories « populaires », à savoir les ouvriers et les employés (le travail et le revenu d'une caissière de supermarché sont peu différents de ceux d'un tourneur), soit les deux tiers des actifs ? Faut-il restreindre aux ouvriers stricto sensu (c'est-à-dire les travailleurs manuels de l'industrie) : ils ne comptent plus que pour 26% des actifs…

Source  : A. Weinberg, Sciences humaines, Hors série n°10, sept.-oct. 1995.

 
Document 7 : Retour aux inégalités d'accumulation

[…] Le rapport interdécile [ 10% les plus riches / 10% les plus pauvres ] y est de l'ordre de 4 en France, 3 pour les pays d'Europe du Nord, 5 aux États-Unis. Les rapports interdéciles du patrimoine sont immenses, d'un ordre de grandeur incomparable, de l'ordre de 70. Ils sont même inexprimables, puisqu'il faut prendre en considération les biens durables (automobile, machine à laver, etc.) pour obtenir un premier décile supérieur à zéro : il vaut alors environ 15 000 francs, le prix d'un petit scooter neuf ; sinon, hors biens durables, près de 20 % de la population n'a simplement aucun patrimoine, ce qui fait du rapport interdécile une grandeur assez abstraite. Lorsque l'on s'intéresse au patrimoine, les écarts deviennent ainsi des gouffres : sur ces strobiloïdes [ graphiques ], en supposant que, entre la base et la médiane, l'écart est de 1 mètre, le décile supérieur du revenu est à 2 mètres, alors que celui du patrimoine est à 4 mètres. Côté revenu, à gauche, Lindsay Owen-Jones (le P.-D.G. de L'Oréal), qui a la réputation d'être le salarié au revenu le plus important en France, se trouve à une altitude de 300 mètres. Liliane Bettencourt, héritière de la société L'Oréal, de par son patrimoine, se retrouverait côté droit à 32 000 mètres. Cette hauteur stratosphérique signale bien évidemment que l'échelle, qui n'est que de un à trois comme pour les salaires, de un à quatre comme pour le revenu par tête, est de un à soixante-dix, voire plus, pour le patrimoine accumulé. […]

Source  : Louis Chauvel, « Le retour des classes sociales ? », revue de l'OFCE n°79 octobre 2001.

 

Document 8 : Dans les beaux quartiers

« Un espace bien délimité. — Dans les années quatre-vingt-dix, les familles fortunées sont encore nombreuses à habiter le centre ouest de Paris, c'est-à-dire dans le 7è arrondissement, le 8è, le nord du 16è, le sud du 17è et la commune de Neuilly. Dans ces arrondissements l'administration fiscale recense 118 redevables à l'ISF pour l 000 foyers fiscaux imposables sur le revenu. Ce taux tombe à 4 %c dans la Seine-Saint-Denis. Les grandes fortunes se répartissent de façon homologue aux membres des grands cercles parisiens. Une analyse précise des domiciles de leurs membres a montré une répartition spatiale identique à celle des redevables à l'ISF. Les autres arrondissements sont extraordinairement absents ainsi que les autres communes de banlieue. L'habitat bourgeois est concentré et aucun autre groupe social n'est ainsi confiné dans un ghetto, doré et volontaire, mais qui souligne la puissance des contraintes sociologiques. Ces familles, en effet, les plus riches de France, pourraient habiter partout ailleurs dans l'agglomération parisienne puisqu'elles paient déjà les prix les plus élevés du marché immobilier pour habiter là où elles habitent. Non seulement les assujettis à l'ISF sont proportionnellement plus nombreux dans les beaux quartiers de l'ouest, mais ils y paient aussi un impôt plus élevé : les grandes fortunes sont d'autant plus grandes qu'elles se trouvent dans les zones où elles sont les plus nombreuses. Paris marque spectaculairement les inégalités de patrimoine par la concentration spatiale de fortunes exceptionnelles. Cette concentration est extrême : paris-ouest représente 13,3% des redevables de l'ISF, mais seulement 0,87% de la population française. »

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, «  Sociologie de la bourgeoisie », Repères, La découverte, 2000, pages 57-58.

 

Document 9 : L es pratiques culturelles selon le milieu social

Sur 100 personnes de chaque groupe

Possèdent une télévision couleur

1995

Possèdent un magnétoscope

1995

Ont regardé Arte au moins une fois dans la semaine

1995

Sont allés au théâtre

1995

Sont partis en vacances d'été

1995

Connexion Internet domestique 2002

A lu au moins 1 livre au cours des 12 derniers mois

2000

Professions intellectuelles  Cadres

92

75

30

44

82

51

84

Ouvriers

94

68

15

6

53

11

33

Agriculteurs

92

42

16

5

34

10

31

 

Document 10 : Evolution des taux d'équipement des ménages, France, 1954-1994.

 

Document 11 : Les classes sociales selon Karl Marx

•  Avoir des conditions d'existence similaires, } en soi

•  Avoir conscience de partager des intérêts communs, } pour soi

•  Etre en lutte pour améliorer / changer ses conditions d'existence. } pour soi

 

***

 

Consignes  : Afin de préparer un débat autour de la question de la disparition des classes sociales en France aujourd'hui, repérez et triez les arguments en faveur de la fin ou du retour des classes sociales et recopiez-les en les reformulant avec vos propres mots de façon claire et précise . (en groupes de 2 personnes)

Pour formuler les arguments, vous devez vous référer en permanence à la définition marxiste des classes sociales telle qu'elle est rappelée dans le document 11.

Disparition des classes sociales

Retour ou permanence des classes sociales

Groupe de 10h à 11h

Groupe de 11h à 12h

1) Chaque argument doit être rédigé, chiffré si possible, et suffisamment explicite afin que le lecteur n'ai pas à se demander pourquoi il est dans telle ou telle colonne.

2) Ne pas confondre argument et information, une même information peut donner lieu à 2 (voire plus) arguments différents voire contradictoires. Un même chiffre peut servir à argumenter la fin ou le retour des classes sociales… Tout dépend de comment il est utilisé.

Argument = affirmation + preuve(s)

3) Dans certains documents, l'argument est déjà formulé par l'auteur du texte, dans d'autres, il n'y a que l'information et c'est donc à vous d'en faire un argument.

Si l'information est la munition, l'argument est le canon, la façon (direction, puissance) avec laquelle vous envoyez l'information…

 

marjorie.galy@wanadoo.fr